Sylvain Tesson
"...Le vagabond éternel n'appartient pas à son époque
ni n'a derrière la tête l'ombre d'une pensée politique
ni celle d'une revendication. Le vagabond enjambe
l'idéologie et les clôturres qui toutes deux empêchent
de gambader. IL ne veut en rien changer le monde qui
l'entoure, il veut réussir à le fuir le plus esthétiquement
possible. Il ne veut pas se battre, il s'échappe.
Il n'est pas en croisade, il est en croisière.
Il n'appartient à aucun groupe, il lui suffit d'un chien fidèle
ou d'un oiseau apprivoisé pour se sentir en compagnie.
Il va à l'aventure car il veut que chaque jour soit un
jaillissement d'imprévus. Quelque chose doit le mettre
sans cesse sur les bords de l'abîme. Il voyage à la recherche
des parapets du monde. Dans la tension de l'effort
(la discipline du vagabond), il trouve la paix intérieure,
se débarasse de toutes fausseté, revient à l'élémentaire,
et devient capable de pleurer de joie devant une vasque
argileuse d'où sourd un filet d'eau claire.
Son âme se simplifie : Son voyage est une épuration éthique.
Sylvain Tesson (Petit traité sur l'immensité du monde)
Édition Pocket