"A 2 MÈTRES, LE CORPS EST COUPÉ EN DEUX; À 8 MÈTRES, LES JAMBES SONT COUPÉES, BRÛLÉES"
"A l'hôpital Al-Chifa, de Gaza, nous n'avons pas vu de brûlures
au phosphore, ni de blessés par bombes à sous-munitions. Mais nous
avons vu des victimes de ce que nous avons toutes les raisons de penser
être le nouveau type d'armes, expérimenté par les militaires
américains, connu sous l'acronyme DIME – pour Dense Inert Metal Explosive", ont déclaré les médecins.
Petites boules de carbone contenant un alliage de tungstène, cobalt,
nickel ou fer, elles ont un énorme pouvoir d'explosion, mais qui se
dissipe à 10 mètres. "A 2 mètres, le corps est coupé en deux; à 8
mètres, les jambes sont coupées, brûlées comme par des milliers de
piqûres d'aiguilles. Nous n'avons pas vu les corps disséqués, mais nous
avons vu beaucoup d'amputés. Il y a eu des cas semblables au Liban sud
en 2006 et nous en avons vu à Gaza la même année, durant l'opération
israélienne Pluie d'été. Des expériences sur des rats ont montré que
ces particules qui restent dans le corps sont cancérigènes", ont-ils expliqué.
Un médecin palestinien interrogé, dimanche, par Al-Jazira, a parlé de son impuissance dans ces cas : "Ils
n'ont aucune trace de métal dans le corps, mais des hémorragies
internes étranges. Une matière brûle leurs vaisseaux et provoque la
mort, nous ne pouvons rien faire." Selon la première équipe de
médecins arabes autorisée à entrer dans le territoire, arrivée vendredi
par le sud à l'hôpital de Khan Younès, celui-ci a accueilli "des dizaines" de cas de ce type.
Les médecins norvégiens, eux, se sont trouvés obligés, ont-ils dit,
de témoigner de ce qu'ils ont vu, en l'absence à Gaza de tout autre
représentant du "monde occidental" – médecin ou journaliste : "Se peut-il que cette guerre soit le laboratoire des fabricants de mort ? Se peut-il qu'au XXIe siècle on puisse enfermer 1,5 million de personnes et en faire tout ce qu'on veut en les appelant terroristes ?"
Arrivés au quatrième jour de la guerre à l'hôpital Al-Chifa qu'ils
ont connu avant et après le blocus, ils ont trouvé un bâtiment et de
l'équipement "au bout du rouleau", un personnel déjà épuisé, des mourants partout. Le matériel qu'ils avaient préparé est resté bloqué au passage d'Erez.
"Quand cinquante blessés arrivent d'un coup aux urgences, le meilleur hôpital d'Oslo serait à la peine, racontent-ils.
Ici, les bombes pouvaient tomber dix par minutes. Des vitres de
l'hôpital ont été soufflées par la destruction de la mosquée voisine.
Lors de certaines alertes, le personnel doit se réfugier dans les
corridors. Leur courage est incroyable. Ils peuvent dormir deux à trois
heures par jour. La plupart ont des victimes parmi leurs proches, ils
entendent à la radio interne la litanie des nouveaux lieux attaqués,
parfois là où se trouve leur famille, mais doivent rester travailler…
Le matin de notre départ, en arrivant aux urgences, j ai demandé
comment s'était passé la nuit. Une infirmière a souri. Et puis a fondu
en larmes."
A ce moment de son récit, la voix du docteur Gilbert vacille. "Vous voyez, se reprend-il en souriant calmement, moi aussi…"
Sophie Shihab
Sources: journal "Le Monde" 12 janvier 2009