Victor Hugo
En voyant passer des brebis tondues
Les sombres vents du soir soufflent de tous côtés.
O brebis, ô troupeaux, ô peuples, grelottez.
Où donc est votre laine, ô marcheurs lamentables ?
Allez loin de vos toits, et loin de vos étables,
Sous le givre et la pluie, allez, allez, allez!
Où donc est votre laine, ô pauvres accablés,
Vous qui nourrissez tout, hélas! et qu'on affame ?
Peuple, où donc sont tes droits ? Homme, où donc est ton âme ?
O laboureur, où donc est ta gerbe ? O maçon,
Constructeur, polisseur, où dons est ta maison ?
Où donc sont les esprits mis sous votre tutelle,
Docteurs ? Et ta pudeur, ô femme, où dons est-elle ?
Hélas! J'entends sonner les clairons triomphants!
Vierge, où sont tes amours! Mère où sont tes enfants ?
Grelottez, ô bétail dépouillé, pauvres êtres!
Votre laine n'est pas à vous, elle est aux maîtres,
Elle est à ceux pour qui le chien aboie, à ceux
Qui sont les rois, les forts, les grands, les paresseux!
C'est à vous cependant que Dieu l'avait donnée.
Cette laine sacrée, et dans la profondeur
Dieu maudit les ciseaux lugubres du tondeur!
Victor Hugo